Rencontre avec Julien Lestel, chorégraphe de “Dream”, à l’affiche de la Salle Pleyel le 16 janvier 2020
Après une formation au sein de l’École de Danse de l’Opéra National de Paris où il décroche un Premier prix, Julien Lestel multiplie les collaborations prestigieuses avant de créer, en 2007, sa compagnie avec laquelle il débute une belle carrière de chorégraphe. Son dernier ballet, Dream, créé à l’Opéra de Massy, sera donné lors d’une représentation exceptionnelle le 16 janvier 2020 à Pleyel, l’occasion pour nous de revenir sur un parcours déjà très riche.
Comment peut-on décrire la naissance d’un ballet comme Dream ?
J’ai fait une vingtaine de chorégraphies depuis la création de la compagnie, qui ont constitué tout un cheminement. Dream est une sorte d’aboutissement pour l’ensemble de l’équipe. Il traduit bien ce que j’ai envie d’exprimer aujourd’hui avec la plus grande sincérité. Même s’il est difficile de quantifier, il faut une année entre l’élaboration du projet et le début de notre travail commun avec les danseurs. J’aime bien travailler épisodiquement, prendre un peu de recul, ce qui me permet de nourrir et d’enrichir le projet. Cette méthode est d’autant plus validée par la troupe qu’elle lui laisse aussi le temps de réfléchir et de participer à ce travail.
L’invitation par Pleyel, salle prestigieuse s’il en est, est intervenue de quelle manière ?
Quand on a voulu montrer Dream à Paris, il a fallu sélectionner un lieu disposant d’une scène aux dimensions adéquates. Nous avons déjà été à l’affiche du Théâtre des Champs-Élysées, de la Salle Gaveau, de l’Espace Pierre Cardin. Le grand plateau de Pleyel convenait, nous leur avons proposé le spectacle. Nous disposions d’extraits vidéo enregistrés à Massy, la réponse a tout de suite été positive.
La musique est essentielle pour un ballet. Celle de Dream est arrivée avant ou après la conception de l’œuvre ?
Un peu les deux. En effet, j’ai commencé par rechercher un compositeur dont l’univers corresponde à cette pièce. Très vite, j’ai pensé à Jóhann Jóhannsson et j’ai aussi confié certaines parties à Ivan Julliard qui danse au sein de la compagnie et qui écrit de très belles choses. Son apport a été très complémentaire à la partition percussive du compositeur islandais. S’est ajoutée une troisième partie avec la chanson de Nina Simone, I Get Along Without You Very Well, choisie pour casser le rythme assez homogène de mes deux musiciens.
Vous avez dit un jour que le plus important dans une compagnie c’était l’esprit de famille. Est-ce une chose qui vous a manqué dans vos premières années de danseur ?
Oui, j’ai toujours ressenti ce manque même si j’ai eu la chance d’intégrer des grandes maisons comme l’Opéra de Paris, de Monte-Carlo ou de Zurich. L’on se rend compte que ce sont des grandes machines très individualistes, les gens pensent beaucoup à leur carrière, ce qui n’interdit pas de faire de belles rencontres mais la communion de groupe m’a manqué. J’ai souhaité engager des danseurs très différents, avec des personnalités fortes, tout en favorisant le partage et l’homogénéité, que ce soit dans les cours, les répétitions ou les tournées. Je crois que l’on est une famille artistique !
On note un sens fort de la fidélité, l’essentiel des danseurs sont là depuis l’origine ou depuis longtemps. Leur demandez-vous une forme d’exclusivité ou peuvent-ils participer à d’autres projets ?
Je leur laisse cette liberté, elle est très enrichissante pour tout le monde et je n’aime pas l’idée d’accaparer un danseur. La seule chose que je demande, c’est que notre emploi du temps ne soit pas trop bouleversé.
Dans Dream, nous voyons danser Alexandra Cardinale. Est-ce une première collaboration ?
Il y en a eu d’autres, elle était présente dans ma deuxième chorégraphie, Constance, pour laquelle j’avais réuni des solistes du Ballet National de Marseille et de l’Opéra de Paris [en l’occurrence Alexandra et Vincent Chaillet devenu depuis premier danseur]. Sa collaboration dans Dream est d’autant plus forte qu’elle a assisté au parcours de la compagnie.
Dream est écrit au singulier. Y a-t-il une raison ?
Oui, je trouvais que c’était encore plus beau, plus particulier et plus large que les rêves. Le singulier est plus propice à l’imagination.
Si je devais vous demander quelles sont les trois œuvres qu’il faut avoir vues de vous, que me répondriez-vous ?
La question est difficile : juste trois ? [rires]. Je vais quand même en jumeler deux. Les Âmes frères d’abord, c’est le point de départ, un duo d’une heure avec Gilles Porte, une histoire d’amitié peu banale, elle a un côté unique, avec un retour du public incroyable qui nous a portés et propulsés au cours des années suivantes. Je parlerai du Boléro et du Sacre du printemps ensuite. Curieusement, je ne pensais jamais m’attaquer à ces deux monuments. Et puis la vie a fait que j’ai reçu deux commandes : Le Sacre du printemps est venu du centre culturel Tjibaou de Nouméa, je l’ai donc réalisé en l’imprégnant de références kanak. Le Boléro devait clôturer une grande soirée consacrée aux danseurs étoiles de l’Opéra de Paris au Palais des Congrès. Prévu pour une soirée unique, ce Boléro a tellement bien fonctionné que nous l’avons repris un peu partout. C’est une fierté d’être à l’origine de ces deux ballets et d’avoir, avec eux, recueilli l’approbation du public et de la critique. Enfin, je citerai Dream, non parce que c’est l’actualité mais parce que cette pièce marque un tournant dans la vie de la compagnie. Comme la vie personnelle, la vie artistique est constituée de caps et de tournants qui font que l’on repart vers de nouvelles directions en se sentant plus forts, plus libres. Dans cette logique et dans le prolongement de Dream, arrive la prochaine création, Mosaïques, qui sera donnée dans quelques mois à l’Opéra de Massy, les 21 et 22 avril 2020.
Les chorégraphies du Boléro et du Sacre du printemps vous poussent-elles à continuer dans l’approche d’œuvres appartenant au grand répertoire ?
Pas pour le moment même si depuis je me suis attaqué à des grands airs de Puccini et surtout si je garde précieusement en tête des projets de cet ordre. Dream a constitué un tremplin, je reste concentré sur cet univers que l’on retrouvera dans Mosaïques qui découle de Dream et qui séduit à la fois le public aimant une danse plus traditionnelle comme celui attiré par davantage de modernité.
Quand vous parlez de mélange classique-moderne, c’est bien ce que caractérise votre style depuis le début, que l’on qualifie de néo-classique !
Oui, j’y tiens vraiment mais je suis attaché à un néo-classique assez moderne avec des emprunts très contemporains afin de ne pas tomber seulement dans le beau mouvement. J’aime ce qui est puissant, percutant, le rythme, les chutes au sol, j’ai toujours aimé le côté très athlétique de la danse. Dans Dream, on retrouve les performances physiques avec le danseur qui pousse les limites de son corps au maximum, tout en gardant la beauté du geste, la netteté, la technique. C’est important d’exprimer les deux. J’essaie de dépoussiérer sans codifier en collant à mon époque en toute liberté. Et il est important pour moi que l’on puisse retrouver dans mes chorégraphies le climat de la société dans laquelle on vit.
Propos recueillis par Philippe Escalier
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